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Un arbre, un trillion de microbes : découvrir le microbiome des arbres

  • Photo du rédacteur: Natasha Dudek
    Natasha Dudek
  • 20 sept.
  • 4 min de lecture
Aperçu du microbiome bactérien et archéen du chêne noir (Quercus velutina). Chaque diagramme en anneau illustre la composition relative des classes taxonomiques présentes dans un type d’échantillon d’arbre différent. Plus précisément, les types d’échantillons comprennent : a) l’écorce, b) l’aubier, c) le duramen, d) les fines racines, e) les grosses racines, f) le sol minéral, g) le sol organique, h) la litière de feuilles, i) le bois carié, j) les branches et k) les feuilles. Source : Wyatt et al. (2024), figure 4a.
Aperçu du microbiome bactérien et archéen du chêne noir (Quercus velutina). Chaque diagramme en anneau illustre la composition relative des classes taxonomiques présentes dans un type d’échantillon d’arbre différent. Plus précisément, les types d’échantillons comprennent : a) l’écorce, b) l’aubier, c) le duramen, d) les fines racines, e) les grosses racines, f) le sol minéral, g) le sol organique, h) la litière de feuilles, i) le bois carié, j) les branches et k) les feuilles. Source : Wyatt et al. (2024), figure 4a.

Quand on pense aux forêts, on imagine souvent de grands arbres majestueux et une végétation dense, peuplés d’oiseaux, de mammifères et d’insectes. Pourtant, derrière cette scène familière se cache un monde microbien invisible, grouillant de vie. En fait, de nouvelles recherches menées par Wyatt et ses collègues, chercheurs de l’Université Yale et de l’Universidad Nacional de San Antonio Abad del Cusco, et publiées en août 2024 dans la revue Nature, révèlent qu’un seul tronc d’arbre peut abriter plus d’un million de microbes dans ses tissus ligneux. C’est environ une cellule bactérienne pour 20 cellules végétales!


Les arbres sont la pierre angulaire des écosystèmes terrestres : ils forment l’ossature des forêts, soutiennent la multitude d’espèces qui en dépendent et rendent d’innombrables services écologiques. À l’échelle planétaire, ils emmagasinent plus de 300 gigatonnes de carbone et soutiennent un vaste éventail d’activités économiques — nourriture, combustible, fibres — évaluées à près de 9 billions $ US. Pourtant, malgré leur importance écologique et économique, nous savons étonnamment peu de choses sur le « microbiome des arbres », c’est-à-dire l’ensemble du matériel génétique des microbes qui vivent à l’intérieur d’eux. Et nous connaissons encore moins les communautés microbiennes associées au bois, qui représente pourtant le plus grand réservoir de biomasse sur Terre. Cet angle mort est important, car chez d’autres espèces (plantes comme animaux), les microbes jouent un rôle crucial pour la santé de leur hôte. Chez l’humain, par exemple, le microbiome intestinal facilite la digestion, renforce l’immunité, influence la vulnérabilité à certaines maladies comme les troubles cardiovasculaires ou certains cancers, et peut même agir sur l’humeur et la santé mentale. Les plantes, elles aussi, en bénéficient : leurs partenaires microbiens stimulent la croissance, améliorent la tolérance à la sécheresse et offrent une protection contre les maladies, entre autres avantages.


Dans leur nouvelle étude, Wyatt et son équipe ont analysé le microbiome associé au bois de plus de 150 arbres vivants appartenant à 16 espèces de l’est des États-Unis, représentant 11 genres présents dans 151 pays. Parmi eux, des espèces familières à Montréal comme les érables et les chênes. Les chercheurs ont prélevé des échantillons de bois sur 158 troncs, ainsi que du sol autour de chaque arbre. Après avoir extrait l’ADN, ils ont fait séquencer deux gènes « marqueurs » (16S et ITS) afin d’identifier les différents micro-organismes. Les séquences obtenues ont ensuite été comparées à de grandes bases de données pour déterminer quelles espèces microbiennes étaient présentes et comment les communautés différaient entre le bois et l’environnement qui l’entoure.


L’une des premières découvertes a été que les microbes à l’intérieur du bois forment une communauté spécialisée et autonome, plutôt qu’un simple mélange provenant du sol ou des autres parties de l’arbre. Pour certaines espèces, à peine 3 % des microbes du bois étaient aussi présents dans le sol voisin. Même en comparant avec l’écorce, les branches, les feuilles, les racines ou encore les tissus en décomposition, les chercheurs ont trouvé peu de chevauchement. Le microbiome du bois semble donc distinct des autres communautés microbiennes associées à l’arbre. Chaque partie de l’arbre aurait ainsi son propre microbiome, doté de fonctions particulières, capable d’interagir différemment avec l’hôte et son environnement.


Les chercheurs ont ensuite examiné la finesse de cette spécialisation en comparant deux types de bois : le duramen (le cœur de l’arbre, dense, âgé, non vivant) et l’aubier (la couche externe vivante, qui transporte l’eau et les nutriments). Là encore, ils ont observé des communautés microbiennes différentes, adaptées aux conditions contrastées : le duramen est plutôt anaérobie et pauvre en nutriments, alors que l’aubier est oxygéné et plus riche.


Autre constat frappant : chaque espèce d’arbre abrite son propre microbiome distinct. Ces différences semblent liées aux particularités internes du bois : pH, circulation de la sève, présence de composés phénoliques ou de molécules antimicrobiennes. Les érables, par exemple, avec leur sève riche en sucres, présentaient les plus fortes concentrations de Saccharimonadia, un groupe microbien spécialisé dans la dégradation des sucres. Cela soulève des questions passionnantes : comment ces communautés changent-elles au fil des saisons, ou selon que les arbres vivent une sécheresse ou des pluies abondantes?


Wyatt et ses collègues ont aussi remarqué que la parenté entre les communautés microbiennes du bois reflétait l’arbre hôte et son évolution. Autrement dit, des arbres proches sur le plan évolutif hébergent des microbiomes plus similaires. Cela laisse penser à une coévolution, comme on l’observe aussi chez les animaux. Chez certains primates non humains, par exemple, la parenté génétique influence fortement la composition du microbiome intestinal, en plus des facteurs environnementaux et alimentaires. Une autre possibilité est que les microbes soient en partie transmis de l’arbre parent aux descendants.


Comprendre le microbiome du bois, c’est donc non seulement percer un monde invisible, mais aussi ouvrir la porte à de nouveaux outils pour la conservation. Contrairement au génome d’un arbre (fixe, stable), son microbiome est dynamique : il change selon les espèces microbiennes présentes et les gènes qu’elles portent, ce qui influence directement la santé de l’hôte. Dans d’autres domaines, comme la recherche sur les coraux, on explore déjà des moyens de renforcer les communautés microbiennes pour accroître la tolérance à la chaleur et donner un espoir de survie aux récifs face aux changements climatiques. De la même manière, mieux comprendre les microbes des arbres, et particulièrement ceux du bois, qui constitue la plus grande part de leur biomasse, pourrait un jour nous permettre de trouver des stratégies pour protéger les arbres contre les maladies et soutenir leur croissance dans un climat instable. On peut même imaginer des « prébiotiques » ou « probiotiques » pour arbres, afin d’aider des populations vulnérables à résister à des maladies dévastatrices comme la maladie corticale du hêtre, dont l’incidence augmente avec le réchauffement.


En étudiant le microbiome du bois, nous comprenons mieux les processus écologiques et physiologiques qui soutiennent les arbres et, par extension, les forêts entières. Et c’est cette connaissance qui peut servir de base à des stratégies de conservation plus éclairées et plus efficaces.


Étude :


 
 

©2024 par le Projet de conservation de la nature de Montréal

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