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Combien d’arbres faudrait-il pour rafraîchir Montréal ?

  • Photo du rédacteur: Natasha Dudek
    Natasha Dudek
  • 23 août
  • 9 min de lecture
La plantation d’arbres peut réduire la température au niveau des piétons jusqu’à 12 °C et maintenir la température maximale mensuelle en dessous de 26 °C dans 83 % des villes.
La plantation d’arbres peut réduire la température au niveau des piétons jusqu’à 12 °C et maintenir la température maximale mensuelle en dessous de 26 °C dans 83 % des villes.

Alors que les étés deviennent de plus en plus chauds, Montréal fait face à une menace croissante due aux vagues de chaleur. L’asphalte et le béton retiennent la chaleur, créant un effet d’îlot de chaleur urbain qui peut rendre la ville plusieurs degrés plus chaude que les zones rurales environnantes. Les vagues de chaleur font partie des aléas climatiques les plus mortels, et pour des villes comme Montréal, une question urgente se pose : comment rafraîchir l’ensemble de la ville ?


Les solutions basées sur la nature gagnent en popularité pour relever les défis urbains, car elles exploitent les écosystèmes pour offrir de multiples bénéfices environnementaux, sociaux et économiques. Parmi celles-ci, la plantation d’arbres est l’une des stratégies les plus largement utilisées. En plantant et en conservant des arbres urbains, les villes peuvent obtenir un refroidissement substantiel grâce à l’ombre et à l’évapotranspiration. Par exemple, une méta-analyse publiée en 2024 par des chercheurs de l’Université de Cambridge, portant sur 182 études dans 110 villes et 17 types de climat à travers le monde, a montré que la plantation d’arbres peut réduire la température au niveau des piétons jusqu’à 12 °C et maintenir la température maximale mensuelle en dessous de 26 °C dans 83 % des villes. Au-delà de la régulation thermique, les arbres améliorent aussi la qualité de l’air et du son, soutiennent la santé physique et mentale et contribuent à la biodiversité.


Des lignes directrices en foresterie urbaine voient le jour pour soutenir des quartiers plus verts, sains et résilients. Inspirées par ces avantages, de nombreuses villes ont lancé des campagnes ambitieuses de plantation d’arbres, dont Montréal, New York, Paris et Shanghai. Dans le cadre de sa stratégie d’adaptation aux changements climatiques, Montréal s’est engagée à planter 500 000 nouveaux arbres d’ici 2030. Mais est-ce que demi-million d’arbres suffira pour rafraîchir la ville de manière significative ? Quelle baisse de température les habitants peuvent-ils réellement espérer ?


Dans ce billet, nous explorerons la science derrière le refroidissement par les arbres, comment leur impact varie selon l’échelle (d’un pâté de maisons à toute la ville) et certains facteurs pratiques que Montréal devra considérer, comme les quartiers disposant de plus d’espace pour de nouveaux arbres. Nous ferons aussi quelques calculs rapides pour voir si les plans de plantation de Montréal sont susceptibles de réduire efficacement la température estivale dans la ville.


La science derrière le refroidissement par les arbres


Les arbres contribuent à rafraîchir les villes de trois manières principales. D’abord, ils modifient l’albédo, c’est-à-dire la quantité de lumière réfléchie par une surface. Comparées à l’asphalte ou au béton, les feuilles reflètent plus de lumière et absorbent donc moins de chaleur. Ensuite, grâce à l’évapotranspiration, les arbres puisent l’eau du sol et la relâchent dans l’air, refroidissant l’environnement lorsque l’eau s’évapore — un peu comme la sueur qui rafraîchit la peau. Enfin, leurs cimes changent la rugosité de la surface urbaine et modifient le paysage, influençant le flux d’air et la circulation de la chaleur.


Ces effets de refroidissement sont les plus forts durant la journée, lorsque les arbres réfléchissent activement la lumière et effectuent la photosynthèse, ce qui alimente l’évapotranspiration. La nuit, ces processus cessent, et les arbres peuvent même piéger une partie du rayonnement thermique près du sol. Ainsi, l’effet rafraîchissant suit un cycle prévisible : il est maximal en après-midi et plus modeste la nuit.


Mais tous les arbres et tous les milieux urbains ne refroidissent pas de la même manière. L’effet réel dépend d’un mélange de facteurs, incluant les caractéristiques des arbres, la configuration de la ville et les conditions climatiques locales.


Facteurs urbains qui influencent le refroidissement


Un mélange d’arbres feuillus et résineux dans les climats tropicaux, tempérés ou continentaux peut réduire la température d’environ 0,5 °C de plus que la plantation d’une seule espèce. La densité et la hauteur de la canopée comptent aussi : des arbres plus hauts et plus fournis bloquent plus de lumière et libèrent davantage d’humidité par transpiration. Même les caractéristiques des feuilles — taille, épaisseur ou persistance — influencent l’efficacité du refroidissement.


La morphologie urbaine joue également un rôle : la forme des bâtiments, l’orientation des rues, l’emplacement et la disposition des arbres, ainsi que leur densité, sont des facteurs importants. Les espaces ouverts avec une variété d’arbres connaissent les plus fortes baisses de température diurnes, grâce à une meilleure circulation de l’air et plus d’ombre. Dans les quartiers compacts, la plantation doit être plus stratégique, car les structures denses (y compris les cimes) peuvent piéger la chaleur.


Le climat local est un autre facteur clé. Dans les régions chaudes et sèches, les arbres refroidissent principalement par transpiration. Dans les régions humides, cet effet est moindre, car l’évaporation est ralentie par l’air déjà chargé d’humidité. Par exemple, les villes arides tirent souvent le plus de bénéfices des conifères tolérants à la sécheresse.


L’effet de l’échelle de la canopée sur le refroidissement


Un autre facteur important est la taille de la zone couverte par les arbres. On sait depuis longtemps que les arbres peuvent rafraîchir de petits quartiers, mais jusqu’où peuvent-ils abaisser la température sur toute une ville ?


Prenons Madison, Wisconsin. En 2024, une étude de Ziter et al., de l’Université du Wisconsin–Madison et de l’Université Memorial de Terre-Neuve, a fait circuler des volontaires à vélo avec des capteurs de température. Les résultats ont montré que les quartiers avec plus de 40 % de couverture arborée étaient plusieurs degrés plus frais que les zones clairsemées. Une excellente nouvelle pour ces quartiers, mais ces poches isolées ne suffisent pas à rafraîchir toute la ville. Il est aussi difficile de savoir quel serait le potentiel maximal si la ville entière avait une canopée plus uniforme.


On sait depuis longtemps que le potentiel de refroidissement ne croît pas linéairement avec l’augmentation de la canopée, ce qui complique la tâche des urbanistes qui tentent d’estimer le nombre d’arbres nécessaires pour avoir un effet notable à l’échelle d’une ville. En 2024, une étude de Wang et al., de l’Académie chinoise des sciences et du Cary Institute of Ecosystem Sciences, a montré que la relation entre la couverture arborée et le refroidissement suit une loi de puissance. À mesure que la canopée augmente, l’effet de refroidissement croît également, mais le rythme n’est pas linéaire et tend à plafonner au-delà d’un certain point. Les chercheurs ont même développé une équation permettant d’estimer la baisse moyenne de température pour chaque augmentation de 1 % de la canopée, donnant aux urbanistes des objectifs basés sur la science pour lutter contre les vagues de chaleur.


Zoom sur les calculs : le refroidissement des arbres

L’efficacité du refroidissement urbain est exprimée par la capacité de refroidissement, soit la réduction moyenne de température provoquée par une augmentation de 1 % de la canopée. La formule pour les journées d’été est :


Qs=kS𝛽


  • Qs : refroidissement attendu (°C) pour 1 % d’augmentation de la canopée

  • S : surface mesurée, en m²

  • k : constante de normalisation

  • ß : exposant qui quantifie le rythme de croissance


Le point clé : l’efficacité du refroidissement augmente avec l’échelle, mais pas de façon linéaire. De grands ensembles d’arbres continus refroidissent beaucoup plus que des zones dispersées.


Qu’est-ce que cela signifie pour Montréal ?


Alors, la campagne de plantation d’arbres de Montréal permettra-t-elle de rafraîchir la ville ? La réponse est complexe et chaque estimation comporte des limites. On peut toutefois avoir une idée approximative en utilisant la loi de puissance de Wang et al. (2024).


L’île de Montréal couvre environ 472,6 km². En appliquant l’équation et les constantes calculées pour une ville au climat similaire (Baltimore), on obtient :


Qs = 1.06(472600)0.066 = 2.51 °C


Cela signifie que les Montréalais pourraient raisonnablement s’attendre à une baisse moyenne d’environ 2,5 °C lors des journées d’été si la canopée urbaine augmentait de seulement 1 %. Bien sûr, il s’agit d’une estimation approximative : un calcul plus précis devrait tenir compte du climat unique de Montréal, de la composition des arbres et de l’aménagement urbain.


Combien d’arbres cela représente-t-il ? Le nombre total d’arbres à Montréal est difficile à estimer, mais on rapporte que la ville compte plus de 1,2 million d’arbres sur les terrains. Si l’on suppose qu’il y en a environ la moitié de plus sur les terrains privés, on peut estimer environ 2 millions d’arbres au total. Pour augmenter la canopée de 1 %, il faudrait planter environ 20 000 nouveaux arbres. Avec l’engagement de planter 500 000 arbres, la ville dépasse largement ce seuil, ce qui est très encourageant.


Tirer le meilleur parti des nouveaux arbres de Montréal


Pour maximiser les bénéfices de cette initiative, la Fondation David Suzuki a collaboré avec Habitat, un cabinet montréalais en solutions environnementales, afin de développer un plan de plantation stratégique et scientifique. L’objectif : garantir que cette vaste campagne offre un impact écologique, social et climatique maximal. L’étude utilise des indicateurs socio-économiques et écologiques pour décider où, combien et quelles espèces planter, et fournit une feuille de route adaptable pour d’autres municipalités confrontées aux défis climatiques et d’équité environnementale.


L’étude a commencé par évaluer l’état actuel de la forêt urbaine de Montréal. La ville affiche 21 % de couverture arborée, avec L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève au sommet (47,8 %) et Saint-Léonard au bas (9,7 %). La diversité fonctionnelle, c’est-à-dire la capacité des arbres à résister à la sécheresse, à la compaction du sol, aux inondations ou à d’autres stress, est notée 5,9 sur 9, ce qui montre qu’il y a une marge de progression pour renforcer la résilience.


Ensuite, l’étude a identifié où planter de nouveaux arbres, en tenant compte du type de surface (béton, gazon, etc.) et de la distance par rapport aux arbres existants. Les quartiers offrant le plus grand potentiel sont Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles (espace pour 134 639 nouveaux arbres), Saint-Léonard (espace pour 35 756 nouveaux arbres), et Montréal-Nord (espace pour 27 219 nouveaux arbres). Les zones avec le moins d’espace sont Outremont (espace pour 3 916 nouveaux arbres), L’Île-Bizard–Sainte-Geneviève (espace pour 27 040 nouveaux arbres), et Pierrefonds-Roxboro (espace pour 40 584 nouveaux arbres). Dans toute la ville, il reste de la place pour 758 162 arbres, ce qui pourrait porter la couverture arborée à 27,8 %.


L’étude a aussi priorisé les quartiers pour l’équité sociale et la résilience climatique, à l’aide d’indices comme l’indice de canopée, l’Indice canadien de défavorisation multiple, cinq indices de vulnérabilité aux aléas climatiques et l’indice de diversité fonctionnelle des arbres. Les quartiers les plus prioritaires : Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, Saint-Laurent, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension et Ahuntsic–Cartierville.


Enfin, l’étude a évalué quelles espèces sont les mieux adaptées aux conditions locales pour maintenir les services écosystémiques à long terme. Actuellement, 34 % des arbres sont des érables. Ces arbres sont excellents pour filtrer les polluants, capter l’eau de pluie et stocker le carbone, et résistent bien aux fortes pluies et aux inondations. Ils restent toutefois vulnérables à la sécheresse et aux vents violents. En plantant de manière stratégique des espèces résistantes à ces menaces, tout en conservant les espèces déjà abondantes, Montréal pourrait plus que doubler sa diversité fonctionnelle, renforçant la forêt urbaine face aux ravageurs et aux aléas climatiques.


Conclusion et comment contribuer à la forêt urbaine


Le plan de Montréal de planter 500 000 arbres d’ici 2030 est une étape majeure pour rafraîchir la ville et renforcer sa résilience climatique. Des calculs approximatifs suggèrent que même une augmentation modeste de 1 % de la canopée urbaine de Montréal (estimé approximativement à ~20 000 nouveaux arbres) pourrait abaisser la température de près de 3 °C. Avec les plans ambitieux de la ville, les bénéfices sont encore plus grands. Combiné à d’autres stratégies, comme les toits verts, les surfaces réfléchissantes et l’augmentation des espaces verts publics, l’impact pourrait être transformateur.


Pour maximiser ces bénéfices, il faut être stratégique sur où et comment planter : sélectionner les quartiers selon le potentiel de plantation et l’accès des résidents aux espaces verts, et choisir des espèces qui maximisent la diversité fonctionnelle pour résister aux aléas climatiques.


Vous voulez contribuer à la forêt urbaine de Montréal ? Vous pouvez vous impliquer en tant que bénévole (e.g., Les amis de la montagne, Arbres Canada), faire un don, ou partager l’information. Une autre option consiste à plaider pour davantage d’arbres, d’espaces verts et d’investissements en foresterie urbaine dans votre quartier (pour un exemple de réussite, lisez l’histoire de la Falaise St-Jacques, que la ville a récemment annoncé vouloir transformer en parc.). Et si vous avez de l’espace chez vous, planter un arbre fait une vraie différence. Des programmes comme Un arbre pour mon quartier ou Demander la plantation d'un arbre pour souligner une vie, il est aujourd’hui plus facile et plus abordable que jamais d’ajouter de nouveaux arbres sur des terrains privés. Avec plus de 60 % du potentiel de plantation de Montréal entre les mains des résidents, chaque arbre compte. Ensemble, nous pouvons faire pousser une ville plus fraîche, plus verte et plus résiliente pour les générations à venir.


Sources





Riga, Andy. Falaise St-Jacques: A pocket of wilderness in Montreal’s concrete jungle. February 4, 2016. https://www.montrealgazette.com/news/article257332.html



 
 

©2024 par le Projet de conservation de la nature de Montréal

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