Dépopulation et biodiversité : moins de gens, plus de nature ?
- Natasha Dudek
- 11 juil.
- 5 min de lecture

Nous faisons face à une crise de la biodiversité. Depuis 1970, la planète a perdu 73 % de ses populations fauniques. Pour les scientifiques, la sixième extinction massive de l’histoire de la Terre est peut-être déjà en cours, les espèces disparaissant 100 à 1 000 fois plus vite qu’avant l’influence humaine.
Il est clair que la croissance démographique est souvent corrélée à une perte de biodiversité. Mais que se passe-t-il quand la population décline ? Un recul de l’empreinte humaine pourrait-il ralentir, voire inverser, cette érosion ? Existerait-il un “dividende de dépopulation” pour la nature ?
Une étude publiée en juin 2025 dans Nature Sustainability, réalisée par des chercheurs de Tokyo City University, de l’Université de Tokyo, de l’Université de Sheffield, de Kindai University et de la Nature Conservation Society of Japan, s’est penchée de près sur cette question. Ses conclusions remettent en question certains espoirs naïfs et offrent des pistes essentielles pour l’avenir de la conservation.
Japon : un terreau d’observation mondial
Le Japon est un cas d’étude exceptionnel. Sa population nationale décline depuis 2010, et 23 des 47 préfectures sont en diminution depuis 1995. Dans de nombreuses zones rurales, cette baisse est continue depuis des décennies. En parallèle, le Japon est identifié comme un hotspot de biodiversité, avec des écosystèmes riches et menacés. Contrairement aux autres hotspots, ce pays connaît une réduction démographique, ce qui en fait un terrain idéal pour examiner la dépopulation et la conservation.
Les chercheurs ont étudié 158 sites dans des paysages boisés, agricoles et périurbains au Japon, en surveillant 464 espèces d’oiseaux, papillons, lucioles, grenouilles et 2 922 espèces de plantes, natives ou non, entre 2004 et 2021.
Ce qu’ils ont découvert : la biodiversité décline, malgré la dépopulation
Les chercheurs ont répondu à une question centrale : la biodiversité s’améliore-t-elle dans les régions où la population décline ? Leur réponse est claire : non. Sur la plupart des 158 sites, la perte de biodiversité se poursuit, peu importe la tendance démographique. Dans les zones en dépopulation, la richesse et l’abondance des espèces, particulièrement les grenouilles et les lucioles, ont fortement chuté. Le seul groupe à montrer une progression constante : les plantes non natives, souvent signes de déséquilibre écologique.
Cette érosion n’est pas seulement due à la baisse démographique, mais à ce qui suit : de profondes modifications des usages des sols. Même dans les communautés en déclin, l’urbanisation continue de s’étendre. Les terrains désertés (agricoles ou résidentiels) sont souvent laissés à l’abandon ou vendus à des promoteurs. Ils deviennent de nouveaux axes routiers, centres commerciaux, installations sportives, lotissements ou stationnements. D’autres terres agricoles sont converties en fermes industrielles à grande échelle, utilisant d’immenses serres de production horticole.
En revanche, les zones où la population reste stable et où l’agriculture traditionnelle, comme la culture de riz humide, perdure, présentent une biodiversité plus fiable. Mais ces territoires se réduisent rapidement, et le vieillissement de la population laisse redouter un basculement prochain.
Pourquoi la dépopulation seule ne sauvera pas la nature
Il serait tentant de croire que la nature reprendra ses droits dès que les humains s’en éloignent. Or, au Japon, la réalité est tout autre : la dépopulation se présente comme une fragmentation graduelle et un délitement écologique. Les maisons sont abandonnées, les champs laissés en jachère, mais les infrastructures, comme les routes, pylônes, et canaux, demeurent, se détériorent lentement, et ne disparaissent que rarement.
Au lieu de redevinir sauvages et diversifiés, ces espaces sont souvent attirés vers deux issues : l’urbanisation galopante ou l’agriculture industrielle intensive. Les rizières peuvent être transformées en routes, complexes commerciaux ou zones résidentielles. Certaines terres sont rachetées pour produire en masse sous serres. Ce processus n’est pas une renaissance de la nature, c’est un affaiblissement écologique silencieux : les pratiques traditionnelles, comme le riziculture saisonnière, gestion forestière, et entretien hydrique, disparaissent, emportant avec elles des habitats essentiels. Les écosystèmes semi-naturels du Japon n’étaient pas « sauvages », mais prospéraient grâce à la gestion humaine réfléchie. Sans cette forme de soin, ces milieux s’effritent.
Sans restauration active ou une nouvelle conception de la gestion, la dépopulation ne se traduira pas par un retour de la nature. Ce sera plutôt la transformation vers des paysages dégradés, ni vraiment humains, ni authentiquement naturels, peu accueillants pour les espèces disparues et potentiellement cibles de promoteurs.
Une portée globale
Le Japon n’est pas un cas isolé. D’ici 2050, 85 pays connaîtront un déclin démographique soutenu, notamment en Asie du Nord-Est et en Europe de l’Est (ONU). Sans comprendre comment la dépopulation affecte les écosystèmes, nous risquons de manquer une opportunité historique ou, pire, de continuer à perdre la biodiversité sous couvert d’un optimisme trompeur.
Chaque région étant unique, ces résultats indiquent que laisser la nature “faire son œuvre” sans intervention n’est pas une solution efficace. L’avenir de la conservation dans les zones en dépopulation dépend plutôt de gestions de l’habitat actives, d’initiatives de rewilding ciblées et d’une planification écologique à long terme.
Conclusion : planifier, ne pas espérer
La dépopulation ne promet pas à elle seule le retour de la biodiversité, mais elle ouvre des voies de restauration sociale et écologique inédites. Le secret ne réside pas dans l’attente, mais dans l’action éclairée et planifiée.
Le rewilding – ou réensauvagement – gagne en popularité comme méthode de rétablissement des fonctions écologiques. Dans les paysages façonnés pendant des millénaires par les humaines, comme les rizières japonaises, le retour à un état préhistorique est irréaliste. Mais une rewilding interventionniste, qui respecte les pratiques humaines tout en favorisant la résilience écologique, peut réussir.
Un excellent exemple : l’estate du château de Knepp au Royaume-Uni. Passe d’exploitation agricole intensive (jusqu’en 2001) à projet de rewilding. Laissez opérer les processus naturels : bétail libre (vache, poney, cochon, cerf) imitant les grands herbivores, créant une mosaïque d’habitats (prairies, fruticées, arbres isolés, pâturages boisés). Résultat : la faune renaît – tourterelles des bois, rossignols, faucons pèlerins, empereurs pourpres, et bien d’autres.
Knepp montre que même des méthodes peu coûteuses sur des terres abandonnées peuvent ramener une biodiversité spectaculaire, tout en créant un économie rurale durable : viande de qualité, camping, glamping, safaris, locations, tout en stimulant les entreprises locales (pubs, auberges, commerces). Ces initiatives se construisent autour de l’humain, qui n’est pas exclu, mais réimaginé comme gestionnaire du paysage.
La nature ne reviendra pas toute seule. Mais avec des stratégies ciblées et bien informées, nous pouvons orienter la transition démographique vers des paysages plus riches, résilients et en harmonie avec nos nouvelles réalités humaines.



